Holly Dressel
C’était il y a seulement un an, en mars 2019, mais cela semble s’être passé il y a une éternité, que la série télévisée de Radio-Canada Enquête avait dévoilé que des déchets potentiellement très toxiques, extraits du sol sur des sites de construction de Montréal, étaient abandonnés illégalement sur des terres agricoles de la vallée de la Châteauguay ainsi que d’autres régions voisines de la métropole. Ils avaient ciblé, entre autres, des déchets déchargés à Saint-Rémi depuis le site de démolition de l’hôpital Saint-Luc ainsi que sur des sites de construction de condos dans l’ancien quartier industriel de Griffintown. Des décharges de déchets avaient été observés près de Ormstown; et depuis la diffusion du reportage, des résidents de la région ont signalé d’autres possibles déversements plus petits déposés dans des champs de Saint-Chrysostome, Très-Saint-Sacrement et Havelock. Bien que la responsabilité du suivi des déchets quittant Montréal appartient à la ville, il n’y a présentement aucun système en place permettant de savoir ce que ces déchets deviennent. Ce manque d’infrastructure permet donc aux contracteurs de déverser leurs déchets n’importe ou, pourvu que le coût soit bas. Et c’est une région comme la vallée du Haut-Saint-Laurent qui en paie le prix fort, voyant ses sols et son eau contaminés par des produits toxiques dangereux.
Le plus inquiétant de ces incidents a sûrement été celui qui a eu lieu sur la route 201 à Franklin: au cours de l’été dernier et jusqu’à l’automne, des dizaines de camions à double-charge ont été observés par les autorités municipales chaque jour, déversant du contenu d’origine inconnue juste à côté de la source d’eau potable de Ormstown. Les autorités avaient commencé à remarquer cet étrange manège au printemps, puis ont constaté que la hauteur de la terre s’élevait peu à peu jusqu’à atteindre une hauteur de 15 pieds de plus qu’au départ et était couverte par une substance grise d’origine inconnue et remplie de morceaux de ciments, le tout éparpillé sur plusieurs acres.
Douglas Brooks, le maire de Franklin, avoue que la municipalité a fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenter d’enrayer le problème: rapporter les évènements au Ministère de l’environnement, envoyer les substances pour des tests en 2017 (la municipalité attend toujours les résultats…); s’adresser à la MRC et aux autres conseils municipaux afin de chercher du soutien, ce que la MRC et les villes de Dundee, Sainte-Clotilde et Huntingdon ont promis de donner; en parler à la police et dans les médias, retracer le chemin des camions (jusqu’à une compagnie basée à l’Epiphanie, Construction Franguy). Le maire Brooks a exigé du propriétaire terrien, Eric Jodoin, des permis quotidiens, ce qui aurait pu avoir comme effet de contrôler un les déversements, mais le propriétaire a simplement payé les contraventions dont les montants, comparativement aux dommages occasionnés, étaient peu élevés. Le déversement des “matériaux de remblai” était autorisé et peu réglementé à ce moment-là.
Le maire Douglas Brooks et son DG intérimaire, Jean-Pierre Valiquette, ont donc réalisé que la seule manière de tenter de régler le problème était d’élaborer une nouvelle règlementation plus sévère qu’auparavant, tout en espérant que le reste des municipalités de la MRC suivraient leur exemple afin d’adopter quelque chose de similaire, empêchant le problème de simplement se déplacer d’un endroit à un autre. Les règlements comme celui-ci sont souvent complexes et demandent beaucoup de recherche légale afin de s’assurer que ce qui est adopté pourrait, le cas échéant, tenir la route dans une cour de justice Québécoise. C’est en partie pour cette raison que la plupart des règlementations dans la vallée sont fragiles et obsolètes.
Et ce n’est même pas une pandémie qui aura réussi à mettre un terme aux déversements de matières solides sur le territoire. D’après Douglas Brooks, le 13 nars 2020, pendant la période de dégel, alors que les grosses charges ne sont pas permises sur les routes afin de les protéger, des camions ultra-chargés étaient de retour sur la route 201 et déversaient leur terre et rochers mystérieux. La nuit du 15 mars, un gros tracteur et un bulldozer du site servant à étaler les matériaux ont été vandalisés et brûlés. Cet acte a attiré l’attention du Ministère des Transports, le Ministère de l’environnement, la Sûreté du Québec et la municipalité, dont les enquêtes devraient faire plus de lumière sur les activités qui ont lieu sur ce site.
Malgré le confinement de ce printemps, Franklin a réussi à faire adopter sa nouvelle réglementation plus sévère par le biais de conseils municipaux virtuels. Ce nouveau réglement permet notamment à la municipalité de contrôler ce qui est déversé sur son territoire de façon rigoureuse et détaillée. La municipalité se réserve le droit d’interdire au propriétaire terrien de recevoir des déchets si ceux-ci ne sont pas autorisés ou si le propriétaire n’a pas de permis. Franklin pourra aussi réguler les quantités (profondeur de 50cm au lieu de 3 mètres ou plus!) et le type de déchets ainsi que surveiller la protection des cours d’eau, etc. L’amende pour quiconque n’aurait pas de permis s’élèvera maintenant à 2000$ par jour pour un individu et 4000$ pour une entreprise.
Franklin a également maintenant accès à un toxicologue qualifié qui aidera la municipalité ainsi que d’autres territoires de la vallée à tester les déchets encore dans les camions ou déversés récemment, ainsi que de tester l’eau qui sort de ces terrains si l’accès n’est pas possible. Cette information aidera sans doute à réparer la négligence dont a fait preuve le Ministère de l’environnement et le forcer à faire son travail. Il est à niter que le budget de ce dernier a été coupé à répétition par les gouvernements Libéraux et Caquistes.
Ce manque de surveillance de la part des sources de ces contaminations, c’est à dire Montréal, ou encore la province qui doit réguler tout cela, prouve que peu de municipalités font ce que Franklin a fait et ne sont donc pas protégées adéquatement et vont donc continuer d’attirer les déversements dangereux qui contamineront potentiellement les sols, les nappes phréatiques et les cours d’eau de la région. Ces matériaux pourraient contenir des métaux lourds, des hydrocarbures, des biogazes et d’autres toxines mortelles qui peuvent poser de gros problèmes pour les communautés agricoles. Le maire Brooks ajoute, “Nous n’avons pas oublié ce qu’il s’est passé à Mercier et Saint-Rémi. Notre objectif premier est de protéger les sources d’eau souterraines dont la ville de Ormstown et le deuxième plus gros camping du Québec dépendent. En tant que communauté agricole, nous nous devons de protéger notre eau!”
Il existe également un groupe appelé “Citizens Group Concerned with Toxic Waste Dumping” qui s’est formé cet hiver lorsque les citoyens se sont rendus compte de ce qu’il se passait sur leur territoire. En plus d’aller dans les municipalités, le groupe propose aux résidents de reporter toute activité suspecte dans les environs, soit dans les champs de culture ou dans des zones plus larges. Ce groupe a pour mission de tenter d’aider les maires à suivre ces activités, à sensibiliser les citoyens afin qu’ils demandent à leurs municipalités de mettre à jour leur propre réglementation à ce sujet ainsi qu’à rester en contact avec les médias.